Barrater les sols pierreux interroge la question du commun en explorant les forces vives de l’expérience humaine que sont le partage et la réciprocité, par le biais d’investigations, d’actions, de performances, de rencontres. L’inspiration de ce projet d’Anouk Verviers vient d’un objet familial, un pot de grès dont se servait sa grand-mère pour préparer des fèves au lard à une époque où les cuissons collectives dans le four du boulanger étaient la coutume. Cette simple remontée du temps trace la voie à un processus de création qui puise sa matière dans le présent et l’histoire de la communauté où il prend place.
D’entrée de jeu, l’artiste sollicite des entretiens individuels pour échanger sur des expériences qui relèvent, d’un point de vue idéologique et pratique, de la mise en commun de ressources. Les expériences recueillies auprès de gens de différents milieux sont diverses, manifestation et militantisme politique, cuisine collective, jardin communautaire, vie en commune.
En parallèle, Anouk Verviers effectue des recherches dans les archives de la Société d’histoire de la Haute-Yamaska. Elle y découvre les enjeux de l’industrialisation du beurre auxquels ont été confrontées les femmes de la région au cours du 20e siècle, alors qu’elles participaient à l’économie familiale et locale en assurant la production et la distribution du beurre. Ce savoir-faire du barattage leur procurait une autonomie financière ; les documents d’archives témoignent du fait que celle-ci a été sabrée inconsidérément par les ambitions d’un régime favorisant la mécanisation et le développement des marchés.
Baratter les sols pierreux… Les pièces d’une allégorie se mettent en place. Dans l’atelier du 3e impérial, Anouk Verviers dessine et fabrique des objets inspirés des pratiques artisanales du barattage du beurre ; elle conçoit un mobilier modulable et transportable, assorti de briques d’argile qui sont moulées suivant les techniques anciennes du façonnage des blocs de beurre. Avec rythme et consistance, elle baratte l’argile et le sable. Sur chaque brique est incrusté un mot destiné à susciter l’échange d’idées. Tous ces éléments constituent le dispositif de mise en œuvre d’une série de performances pour la caméra et d’un travail de création vidéo, Itération subjective 1, où l’artiste livre ses réflexions et son regard sur les rapports intergénérationnels et l’individualisme qui caractérisent le régime économique et social actuel. Les objets créés serviront aussi pour la tenue de Conversations dont la première a lieu sur le site de la Ferme Héritage Miner, tout à côté d’une ancienne laiterie.
La pièce de résistance du projet est réservée pour la dernière étape, la fabrication performative in situ d’un four en argile, sculpture éphémère, et sa mise à feu en vue d’une cuisson collective symbolique à laquelle le public est convié.
Texte: Danyèle Alain; 3e Impérial, Centre d'essai en art actuel
->