Quand je me suis rendue dans cette ville-là, une heure au sud d’où je suis née et deux heures de ton village, J’ai raconté ton histoire de bines. Ils m’ont parlé de beurre. De comment le beurre était fait par les femmes sur chaque ferme.
La femme était responsable de prendre soin des vaches, de les traire, de récolter la crème, la baratter, laver le beurre, le mouler, et l’étamper avec sa propre étampe. Elle vendait les briques de beurre que sa famille mangeait pas et gardait l’argent.
Des beurreries sont apparues partout sur le territoire. Les cultivateurs apportaient leur lait à ces fabriques-là pour qu’il soit transformé en beurre.
On a voté une loi qui interdisait à quiconque ne détenait pas de diplôme d’agronome d’ouvrir ou de faire fonctionner une beurrerie. Les femmes étaient pas admises dans les écoles qui décernaient ces diplômes-là.
On nous présentait les beurreries comme un moyen de se regrouper pour finalement recevoir la part de richesse qui nous revenait. C’est de cette façon-là que ta génération en a toujours parlé : comme un conte d’empowerment. Mais je ne peux plus oublier que ça s’est construit sur une campagne d’oppression des savoirs féminins et de l’indépendance des fermières. Et comment c’est un jeu qu’on pouvait seulement jouer sous des règles coloniales.
(Extrait de la narration de la vidéo Tu m'as donné ton pot à bines (lettre à ma grand-mère, 2022)
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